L’émotion comme obstacle… ou comme porte d’entrée
Dans certaines représentations encore largement diffusées, l’hypnose serait un état de calme préalable, un lâcher prise, une suspension des turbulences émotionnelles, une parenthèse de stabilité nécessaire avant tout travail en profondeur. L’émotion intense y apparaît comme un bruit parasite, un empêchement à la focalisation, un risque de débordement.
Cette vision, historiquement compréhensible, mérite aujourd’hui d’être profondément réinterrogée.
Car l’émotion n’est pas « un accident » du processus thérapeutique. Elle en est souvent le signal voire le moteur, le lieu même du changement en train de se chercher. Être débordé par une émotion, c’est être pleinement engagé dans le processus thérapeutique, parfois sans encore disposer des ressources nécessaires pour l’habiter, il est vrai.
Dès lors, la vraie question n’est peut-être pas : puis-je partir en hypnose malgré l’émotion ?
Mais plutôt : quelle hypnose est ajustée à cet état émotionnel précis ?
Hypnose et régulation : sortir d’une vision instrumentale
Lorsque l’on associe hypnose et émotion, un risque fréquent consiste à réduire l’hypnose à une technique de régulation rapide : apaiser, contenir, faire redescendre. Cette approche peut être pertinente dans certains contextes - douleur aiguë, urgence médicale subjective - mais elle devient problématique lorsqu’elle est érigée en modèle général. Car toutes les émotions débordantes ne demandent pas à être calmées. Certaines demandent à être écoutées, différenciées, symbolisées, traversées, reconfigurées. Dans une perspective intégrative, l’hypnose n’est pas un outil qui s’applique contre l’émotion, ni même simplement sur l’émotion. Elle devient un cadre expérientiel dans lequel l’émotion peut changer de statut : de force envahissante à phénomène perceptible, de chaos à mouvement, de menace à information.
Ce qui compte d’abord : la sécurité, pas la profondeur
La question centrale n’est donc pas l’intensité émotionnelle en soi, mais le niveau de sécurité ressenti du patient à cet instant précis. Un patient peut pleurer chaude larme, trembler, exprimer une colère vive, tout en restant profondément présent, orienté, en lien.
À l’inverse, un patient apparemment calme peut être en état de sidération, de dissociation non intégrée, ou de retrait défensif massif.
Partir en hypnose n’a de sens que si le cadre - relationnel, corporel, symbolique - soutient une expérience vécue comme suffisamment sûre. Cela implique une évaluation fine, souvent implicite, de plusieurs dimensions :
- la qualité de l’alliance à cet instant,
- la capacité du patient à rester en contact avec ses perceptions,
- la possibilité de revenir à une position « méta-expérientielle »,
- la tolérance à l’incertitude et au mouvement interne.
Dans cette optique, l’hypnose n’est pas un « plus » technique, mais une modalité particulière de présence partagée.
Partir avec l’émotion, pas malgré elle
Lorsqu’un patient est débordé, l’erreur clinique serait de vouloir l’emmener ailleurs trop vite : vers un lieu sûr, une image ressource, un état de calme. Ce mouvement peut être vécu comme un abandon de ce qui fait souffrance, voire comme une injonction implicite à ne pas ressentir.
À l’inverse, une hypnose ajustée peut commencer exactement là où le patient est : dans la densité de la poitrine, dans la chaleur de la colère, dans la confusion de la peur, dans la lourdeur de la tristesse…
Non pas pour amplifier l’émotion de manière brute, mais pour en changer la relation.
L’hypnose devient alors un art du pas de côté : permettre de sentir autrement, de percevoir les micro-variations, d’introduire du jeu là où tout semblait figé.
C’est souvent à ce moment-là que quelque chose se transforme, sans qu’il soit nécessaire de « faire » beaucoup.
Une hypnose de la relation avant une hypnose des états
Dans ces situations, l’hypnose ne se réduit pas à une induction formelle. Elle est déjà là : dans le rythme de la voix, dans la qualité du silence, dans la manière de nommer ou de ne pas nommer, dans l’accordage corporel et attentionnel.
Partir en hypnose, c’est parfois simplement reconnaître que la transe est déjà en cours, mais qu’elle est encore désorganisée, non accompagnée, solitaire.
Le rôle du clinicien devient alors celui d’un régulateur de contexte, plus que d’un producteur d’états.
Cette posture suppose un renoncement à l’illusion de maîtrise, mais aussi à la performance technique, et à l’idée qu’une séance « réussie » serait nécessairement calme et fluide.
Une question éthique autant que technique
Demander si l’on peut partir en hypnose avec un patient débordé émotionnellement, c’est en réalité poser une question éthique : que suis-je prêt à accueillir avec lui, sans le précipiter, sans le corriger, sans l’éviter ?
L’hypnose, dans sa forme la plus mature, n’est ni une fuite hors de l’émotion, ni un outil de contrôle. Elle est une écologie de l’expérience, une manière d’habiter ce qui est là, ensemble, jusqu’à ce que quelque chose trouve sa propre voie de transformation. Et parfois, c’est précisément là où ça déborde que l’hypnose devient la plus juste. Le repérer n’est évidemment pas chose facile. A Ipnosia, nous nous attachons à transmettre - dans la diversité des exercices professionnels - comment précisément mettre en place cette éthique spécifique qui respecte « là où cela déborde », comment maintenir la relation de sécurité, et comment aider à dépasser cela tout en maintenant un lieu authentique avec l’expérience qui se déploie. Une émotion, ça remue, mais ça repositionne aussi !








